Jean-Hugues Malineau

Notre ami Jean-Hugues Malineau nous a quittés jeudi 9 mars, pour rejoindre le Paradis des poètes. Notre peine est infinie. Sa bienveillance, sa sincérité et sa quête inlassable de livres rares, nous manqueront énormément.

Sa femme Françoise et sa fille Violaine ont ouvert une adresse-courriel pour tous les amis qui souhaiteraient s’exprimer: jlm2017@outlook.fr

Quelques hommages (cliquer sur les titres) : Le MondeLe Courrier picard / Lu ci & co (Lucie Cauwe) / Livres Hebdo / Li&Je

 Ci-dessous, article  de Philippe-Jean Catinchi
pour le journal « Le Monde »

Jean-Hugues Malineau, poète et éditeur, est mort

Grand bibliophile particulièrement engagé auprès de la jeunesse, Jean-Hugues Malineau est mort le 9 mars, à Paris, à l’âge de 71 ans.

LE MONDE | 15.03.2017 à 14h53 | Par Philippe-Jean Catinchi

Si triste que soit la nouvelle, quel meilleur moment pour prendre son envol qu’au cœur du 19e Printemps des poètes (4-19 mars) ? Editeur, bibliophile, poète, grand rêveur et arpenteur du monde, Jean-Hugues Malineau est mort le 9 mars, à Paris, à l’âge de 71 ans.

Chaleureux et inventif, celui que ses amis surnommaient malicieusement l’« homme aux 300 000 enfants » – jouant sur le nombre des écoliers et collégiens qu’il avait rencontrés en interventions scolaires – a été, dès le début des années 1970, un des pionniers du renouveau des pratiques poétiques à l’école.

Le goût du livre et du jeu de langage, il le tient très tôt de sa grand-mère, et des beaux ouvrages de prix de fin d’année au défi linguistique tout de fantaisie qui le caractérise ; Jean-Hugues Malineau n’a pas cessé de soigner le verbe et l’écrin qu’il réclame : le livre.

Des études de lettres modernes, une maîtrise consacrée à deux recueils de jeunesse de Pierre Emmanuel (1916-1984), Tombeau d’Orphée (1941) et Le Poète fou (1944), avant même que le poète n’entre sous la Coupole. Mais c’est la découverte d’un recueil d’un autre contemporain, René Char, édité par Guy Lévis Mano (1904-1980), qui va décider de ses vocations. Comme cet imprimeur et poète, traducteur à ses heures et typographe par passion, Jean-Hugues Malineau sera un passeur et un artisan, le compagnon des artistes et des écrivains.

Singulier pédagogue

S’il amorce une carrière d’enseignant, maître-auxiliaire selon les besoins en collège comme en lycée (1968-1975), il milite d’abord pour la pratique de la poésie et, pour cela, innove, bousculant les usages pédagogiques. Dès 1971, il présente les créations réalisées par des enfants de classe de 6e et de 5e dont il stimule éveil et curiosité pour le sens et l’image, signe, son, rythme, architecture et mise en page du poème ainsi créé. Collective ou individuelle, la rédaction se doit juste d’être rapide et spontanée. Comme un jaillissement allègre.

Déclinant les recettes surréalistes, Malineau complète le recours aux « cadavres exquis » avec un jeu de prose sur les objets à la manière du Parti pris des choses de Francis Ponge. Comme il a lancé en 1970, avec le poète Yves Sandre (1913-2012), son beau-père alors, une revue, Commune mesure, il y accueille dès lors poèmes et dessins d’enfants, au côté de textes de Guillevic, d’Andrée Chedid, et d’autres, encore inconnus… Alors que paraît le dixième et ultime numéro, en 1974, Jean-Hugues Malineau saute le pas : il renonce au cours de poésie contemporaine qu’il assurait à l’université de Paris-X-Nanterre et quitte bientôt l’éducation nationale pour s’investir pleinement dans l’édition, la bibliophilie et le livre pour enfants.

Poète lauréat du Prix de Rome de littérature en 1976 – une des catégories nouvelles nées de la réforme de l’institution voulue par André Malraux –, Jean-Hugues Malineau ne se contente pas toutefois de forger son catalogue d’éditeur. En quarante ans, il publie plus de 120 titres de poésie contemporaine imprimés sur sa presse à bras selon une pratique ancestrale parfaitement maîtrisée et qui lui vaut, en 1986, la bourse « Guy Lévis Mano » de typographie, l’année même où il reçoit aussi celle de la poésie. Ce doublon est unique dans la brève histoire de cette distinction, qui attribua une quarantaine de bourses (typo, illustration, poésie) en douze ans (1982-1993).

Quête esthétique

Il se lie à d’autres maisons « historiques » et plus commerciales. Ainsi, chez Casterman, il dirige dès 1980 la collection « L’Ami de poche », qui, si éphémère soit-elle (elle est en sommeil à partir de 1983), accueille rien moins qu’Alfred Elton van Vogt (1912-2000), un des chefs de file de l’âge d’or de la science-fiction américaine, Pierre Pelot, Jean-Pierre Andrevon ou le bédéiste Jean-Claude Forest (1930-1998), le père de Barbarella, qui se fait là romancier le temps d’une fiction vénitienne…

Mais Jean-Hugues Malineau publie aussi énormément chez les autres « grands », Grasset, Gallimard, Hachette, L’Ecole des loisirs, Actes Sud, Milan, Rue du Monde et Albin Michel enfin, où il inscrit sa quête esthétique, éthique et poétique dans les collections maison (« Graines de mots » chez l’un pour Poules et poulets, « Humour en mots », « Petits contes de sagesse » et « Carnets de sagesse » chez l’autre pour Ton porc te ment tôt, Quatre coqs coquets, L’Enfant qui retrouva le sourire et Paroles du Japon).

C’est du reste chez Albin Michel qu’est paru le dernier album de l’écrivain, Des poèmes de toutes les couleurs, où les trois moments proposés (anthologie « classique », évocation personnelle d’une enfance relue au prisme de la couleur, jeux éclectiques et farfelus pour faire du lecteur un artisan du texte) résument l’engagement généreux du poète-bibliophile (images de Julia Chausson, 2016).

Membre dès 1993 du conseil d’administration de la Charte des auteurs et illustrateurs pour la jeunesse, Malineau préside l’institution militante de 1996 à 2001, tout en multipliant les conférences et les expositions concernant la poésie et l’histoire du livre pour enfants à partir de son immense bibliothèque personnelle (expositions Eluard, Follain, Guy Lévis Mano, Père Castor, récemment « Blaise Cendrars : l’écriture est un incendie », à Saint-Quentin-en-Yvelines) dont il prêtait, fait rarissime, et sans jamais les réclamer, les pièces uniques aux passionnés qui les lui demandaient.

Logique, dès lors, qu’il assume, à partir de 2004, à l’école d’arts graphiques Emile-Cohl de Lyon, un enseignement de l’histoire du livre pour enfants (évolution technique et graphique de l’origine à nos jours). Mais l’essentiel de son œuvre reste son engagement pour l’enfant créateur : animateur hors pair d’ateliers d’écriture, le poète éditeur a su transmettre à des milliers de petits et de jeunes le goût heureux de la poésie et de l’invention de la langue

Jean-Hugues Malineau en 5 dates

7 novembre 1945 : naissance à Rochefort (Charente-Maritime).

1970 : création de la revue « Commune mesure ».

1986 : double lauréat des bourses Guy Lévis Mano (poésie, typographie).

2012 : « Mon livre de haïkus à dire, à lire et à inventer » (avec Janik Coat, Albin Michel).

9 mars 2017 : mort à Paris.

  • Philippe-Jean Catinchi
    Journaliste au Monde

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